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Jean-François DELAGE : les défis et les opportunités d'une supply chain

Interview Jean-François DELAGE par DataFret

Jean-François DELAGE a passé plus de 35 ans dans le domaine de la supply chain, en travaillant pour différentes entreprises. Il a commencé sa carrière chez Procter & Gamble où il a occupé plusieurs fonctions dans des unités de production avant d’évoluer vers les métiers dans le domaine de la supply chain , puis a rejoint Peaudouce  en tant que Directeur des flux matières, où il a encadré une équipe de 105 personnes. Il a ensuite passé 25 ans chez McCain, où il a géré une supply chain N-to-N.

Au fil des années, Jean-François a évolué vers des responsabilités de business développement (direction d’une Business Unit) et a été directeur  de la R&D chez McCain pendant cinq ans. Sa mission préférée a été de piloter l’Innovation Lab pour le futur de McCain, où il a pu mettre en place toutes les briques de la supply chain pour rendre développer et lancer une nouvelle gamme de produits.

Pour Jean-François, les 25 dernières années ont été les plus enrichissantes, car elles ont été les plus complètes. En tant que responsable de la supply chain, il était à l’interface de tous les services de l’entreprise, ce qui lui a permis de comprendre le fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble. 

Sa deuxième expérience marquante a été lorsqu’il  a dirigé une Business Unit, où il a pu piloter toute l’activité en ayant une action sur tous les leviers de fonctionnement de l’entreprise.

Depuis 18 mois, Jean-François est consultant indépendant, il accompagne les dirigeants de PME, TPE et Startups de l’agroalimentaire dans l’optimisation de la Supply Chain pour renforcer la performance de l’entreprise.

Selon vous, quelles sont les qualités clés pour réussir dans le domaine de la logistique et du transport ?

Lorsqu’on travaille dans le domaine de la logistique et du transport, il est primordial de bien comprendre les processus clés de l’entreprise. Ces processus sont liés les uns aux autres et il est important de comprendre leurs interactions avec les équipes, afin de résoudre les conflits de priorités et d’objectifs. Cette compréhension s’acquiert avec l’expérience, en passant par différents postes et responsabilités au sein de l’entreprise.

Il est crucial de comprendre que les problématiques de la logistique et du transport  impliquent  tous les domaines de l’entreprise, tels que le marketing (traçabilité) et les ventes (conditions générales de vente, taux de service clients). Chaque service a des attentes et des priorités différentes, et il est important d’offrir des solutions pertinentes pour aligner tous les services sur la stratégie de l’entreprise. Il n’y a pas de “mode de fonctionnement” unique , mais plutôt des principes généraux qu’il faut adapter en fonction de la stratégie et des objectifs de l’entreprise.

Pour réussir dans ce domaine de la logistique et du transport, il faut être capable de prendre des décisions et de faire des recommandations en étant en phase avec les départements de l’entreprise , en prenant en compte les priorités et les objectifs de chacun. Cette phase d’ouverture, de compréhension et de résolution de problèmes permettra de trouver des solutions ensemble, pour le bénéfice de tous et dans l’intérêt de l’entreprise et de ses clients.

Il est important d’être un facilitateur transversal au sein de l’entreprise, en jouant un rôle clé dans l’alignement de tous les services. Faire preuve de bon sens et être capable de s’adapter en permanence est également une qualité essentielle dans ce domaine. 

En résumé, réussir dans le domaine de la logistique et du transport nécessite une compréhension approfondie des processus clés de l’entreprise, une capacité à s’adapter en permanence, et une aptitude à travailler en équipe pour atteindre les objectifs communs.

Est-ce que vous pourriez donner un exemple de situation difficile que vous avez eu à gérer dans votre travail et ou avec votre équipe ?

Il y a quelques années, lors de mon expérience chez McCain, j’ai été confronté à un problème de qualité de service rendu aux clients, ce qui avait un impact négatif sur leur satisfaction. Les camions étaient en retard, les erreurs de préparation de commandes étaient courantes et le service global n’était pas à la hauteur des attentes. Avec l’équipe commerciale, nous avons décidé de prendre des mesures pour améliorer cette situation.

Nous avons commencé par réécrire les contrats avec les transporteurs en re-définissant ce que nous attendions d’eux et en mettant en place des indicateurs de performance pour mesurer leur qualité de service. Nous avons fixé des critères tels que la propreté des camions, la présence du chauffeur au chargement et au déchargement pour vérifier la qualité des palettes livrées aux clients et la ponctualité aux rendez-vous du chargement et déchargement.

Pour impliquer les transporteurs dans cette démarche qualité, nous avons organisé des réunions formelles deux à trois fois par an avec tous les transporteurs avec lesquels nous travaillions en France. Les indicateurs de performance étaient revus et nous les encouragions à participer à cette démarche de qualité avec leurs équipes de conducteurs.

Nous avons ensuite organisé un concours  pour mobiliser tous les chauffeurs de toutes les sociétés de transport et les encourager à atteindre les objectifs fixés. Pendant trois mois, nous avons suivi transport par transport tous les critères de mesure de performance. À la fin de cette période, nous avons organisé une cérémonie de remise des trophées à Paris sur une péniche en présence d’un représentant de la Fédération Nationale des Transports Routiers et nous avons récompensé les dix meilleurs transporteurs de dix sociétés différentes.

Ces mesures avaient pour but de valoriser et de reconnaître la qualité du travail des chauffeurs et d’afficher   l’importance du service rendu aux clients par McCain . Nous souhaitions montrer que le chauffeur  était l’ambassadeur de l’entreprise auprès des clients et qu’il représentait la marque. Pour McCain, il était crucial d’avoir une bonne image et des transporteurs qui comprenaient cette exigence de qualité.

Dessin de 4 personnes autour d'un ordinateur et d'un mégaphone "transparent".

“Réussir dans le domaine de la logistique et du transport nécessite une compréhension approfondie des processus clés de l’entreprise, une capacité à s’adapter en permanence, et une aptitude à travailler en équipe pour atteindre les objectifs communs”.

Comment accompagnez-vous les entreprises à optimiser leur supply chain ?

L’optimisation de la supply chain est une tâche complexe qui demande une approche méthodique et une analyse minutieuse des différents aspects impliqués dans le processus. Personnellement, j’ai une approche pragmatique basée sur six piliers clés qui sont, selon moi, les plus importants pour garantir une supply chain efficace et durable : l’analyse des flux, des processus, les outils de pilotage, la technologie, l’organisation et la collaboration.

Dans un cadre général, lorsqu’un client me sollicite, je commence par réaliser un audit de ces six piliers pour comprendre les besoins spécifiques de l’entreprise et identifier les axes d’amélioration prioritaires. Ensuite, je recommande des solutions adaptées à la situation, en quantifiant l’impact que ces améliorations pourraient avoir sur l’organisation, les finances et les services de l’entreprise.

Dans un cas particulier, je m’assure de rester concentré sur le sujet défini par le client, mais je m’appuie toujours sur les six piliers fondamentaux. Je pose des questions clés pour déterminer si les processus sont bien définis, si les indicateurs de performance sont mis en place, comment ils sont suivis et challengés, si les membres de l’équipe ont une compréhension claire de leur rôle, si les outils technologiques sont adéquats et si la collaboration, tant en interne qu’en externe, est efficace.

Mon approche est aussi de travailler avec mes clients pour identifier les défis spécifiques auxquels ils sont confrontés et élaborer des solutions pragmatiques pour optimiser leur supply chain,  en prenant en compte les six piliers fondamentaux de l’efficacité de la supply chain.

Comment faites-vous en sorte d’y créer de la valeur ?

Le point de base, c’est de toujours comprendre la stratégie d’entreprise (quel est son environnement, son contexte, ses concurrents, ce qui est important pour elle).

On pense souvent à un premier critère en termes financiers, mais il y en a d’autres, les bénéfices en termes d’alignement entre les différents départements pour que chacun comprenne l’interconnexion de tous les processus. Ceci est rendu possible avec le S&OP. 

Le taux de service est aussi très important. Pour moi la supply chain doit répondre avant tout à ce que les produits soient bien livrés en temps, en heure, en quantité, en qualité, au bon coût et au bon prix.

Aussi apporter de la valeur ajoutée en essayant de toujours projeter le client dans le futur et de bien se poser des questions sur l’évolution de son entreprise et comment la supply chain va accompagner sa croissance.

Notamment quand on est dans des entreprises qui sont en croissance permanente et que l’on doit se poser la question de potentiellement changer d’échelle en termes de capacité de production. Donc l’idée c’est de se projeter pour construire au fur et à mesure un plan supply chain qui tienne la route et qui anticipe les évolutions de l’entreprise.

C’est de la valeur ajoutée qui peut être amenée dans différents domaines : financier, organisationnel, service client, projection dans le futur et autres.

Selon vous, pourquoi est-il important qu’une entreprise mesure l’impact environnemental de ses activités de logistique et de transport ?

Tout d’abord, les clients sont de plus en plus conscients de l’importance du transport dans la chaîne logistique, ce qui en fait un contrat important. De plus, les comportements des consommateurs évoluent. Ils cherchent des produits locaux, éthiques et bien produits, ce qui nécessite également une adaptation.

Ensuite, il y a des aspects réglementaires qui nécessitent une adaptation pour réaliser la décarbonation par exemple, les contraintes d’accès aux centres-villes qui limitent l’entrée des camions. Des solutions existent avec le développement  des matériels de transport plus adaptés, l’utilisation des carburants alternatifs (biogaz, biodiesel, diesel de synthèse, hydrogène, électricité).

Cela nécessite donc de repenser les schémas logistiques pour utiliser des matériels adaptés en fonction des points de livraison, ainsi que les zones de stockage pour gagner en proximité et faciliter la gestion du dernier kilomètre. En somme, faire ses preuves dans le domaine du transport est crucial pour répondre aux demandes des consommateurs et des réglementations en place.

“Le taux de service est aussi très important. Pour moi la supply chain doit répondre avant tout à ce que les produits soient bien livrés en temps, en heure, en quantité, en qualité, au bon coût et au bon prix”.

Homme devant un écran qui lit les résultats du dashboard.

Pour vous, quels sont les risques actuels de supply chain ?

Je trouve que la situation actuelle est assez complexe. Depuis quelques années, nous avons été confrontés à la crise de la COVID, l’accélération de la lutte contre le réchauffement climatique et des tensions géopolitiques intenses, notamment avec la Russie et la Chine, qui ont eu un impact sur les chaînes logistiques et d’approvisionnement. Cela a entraîné des perturbations dans le service client et des pénuries de matières premières pour la production de certains produits, tels que les composants électroniques pour l’industrie automobile ou les principes actifs pour les médicaments. Cette situation a mis en évidence la nécessité de repenser nos modes de production et de relocaliser certaines activités, bien que cela puisse être coûteux et prendre du temps.

Nous sommes confrontés à des problèmes d’inflation, avec des taux d’intérêt élevés, ainsi qu’à des changements de comportement des consommateurs qui sont accélérés par les crises actuelles. 

À mon avis, les principaux risques pour l’avenir sont que ces dysfonctionnements continuent et génèrent davantage de tensions, et que les réglementations évoluent plus rapidement que la capacité des entreprises à s’adapter, ce qui pourrait entraîner un décalage entre les objectifs des pouvoirs publics et la réalité. Il est donc important de continuer de prendre en compte ces risques pour préparer l’avenir.

Pour vous, quels sont les 3 défis actuels du transport de marchandises ?

Dans ce contexte de crises multiples, le transport de marchandises a un rôle à jouer.

Le transport est un secteur en pleine évolution avec des chantiers importants à mener, notamment dans la décarbonation et l’adaptation aux nouvelles demandes des clients. En France, le marché est très atomisé, avec 90% des entreprises de transport qui sont des TPE. 

La pénurie de chauffeurs est un défi majeur à relever, avec environ 50 000 postes à pourvoir en France. Mais cela va augmenter, j’ai lu que l’augmentation des emplois dans le domaine général du transport et de la logistique  va augmenter de 20 % d’ici à 2030 en France. Comme  on est déjà en pénurie de chauffeurs, ça va continuer. Il est donc important de valoriser le métier de chauffeur (salaires, formation, accueil sur les points de chargement et livraisons).

L’automatisation du processus, avec notamment la dématérialisation des documents de transport, est un challenge dans un marché atomisé. Cela simplifie le partage d’informations avec les donneurs d’ordres et, donne accès en temps réel aux données.  

Pour décarboner les transports, il est important de réduire la pollution en utilisant des énergies alternatives moins polluantes, mais toutes ne sont pas éligibles à la vignette CRIT 1 comme le diesel de synthèse et le biocarburant à base d’huile végétale usagée). Les pouvoirs publics doivent donc repenser leur politique pour encourager l’utilisation d’énergies plus propres.

Le choix des matériels de transport est aussi à prendre en compte en fonction des usages et des coûts comme le transport multimodal .

Mais il y a aussi des solutions de massification des transports comme l’écocombi utilisée en Hollande et en Allemagne et qui n’est pas mise en place en France ce qui permet de réduire de 20 à 30% les émissions de CO2. 

Pour vous, entre le fret aérien, maritime, ferroviaire et routier, quel a été le secteur qui a été le plus impacté par ces défis ?

À l’échelle mondiale, tous les types de transports ont été impactés différemment par la crise. Bien que le fret aérien soit peu utilisé, il est souvent choisi pour les produits à haute valeur ajoutée. Il est impacté avec le détournement des lignes pour éviter le passage au-dessus de l’Ukraine et de la Russie. 

La saturation des ports et la fermeture de certaines zones à cause de conflits ont également affecté le transport maritime. Les coûts de fret ont été multipliés par 5 pendant la période de la COVID.. Le transport routier international a été moins pénalisé, tandis que le transport ferroviaire a bénéficié  d’un effet positif pendant la crise de la COVID. 

En somme, tous les transports ont été impactés, mais de manière variable selon les régions et les modes de transport.

Comment faites-vous en sorte que votre relation avec les entreprises ou directeur supply chain soit durable ?

Pour moi, une relation durable repose sur l’écoute et la compréhension des besoins de l’autre. Dans le cadre de mon métier, il est important d’être passionné par les discussions, de rester factuel et objectif afin de comprendre les priorités et les objectifs de l’entreprise pour pouvoir proposer des solutions pertinentes. Cela nécessite aussi de l’humilité.

Dans une relation avec le client, il est important de penser au support des  équipes de terrain, et de les accompagner dans le changement en prenant le temps de communiquer clairement et de les faire adhérer aux  objectifs.

Le service client reste toujours une priorité, en gardant à l’esprit que le client final est celui qui doit être satisfait. Il est important de se rappeler que sans clients, il n’y a pas d’entreprise.

Cela est vrai pour tous les métiers et problèmes, et certaines entreprises peuvent parfois l’oublier.

Quel besoin technologique pensez-vous que les entreprises pourraient prévoir d’avoir recours cette année ?

Il existe déjà de nombreuses technologies telles que les ERP, les WMS, les TMS, les objets connectés, les lecteurs codes-barres, etc. La clé aujourd’hui est de faire en sorte que ces systèmes se connectent entre eux et que chaque acteur de la chaîne ait accès à l’information pour optimiser l’ensemble de la chaîne. Le cloud pourrait être une évolution à venir pour permettre à chacun d’avoir accès aux informations dont il a besoin.

L’intelligence artificielle sera également un élément clé pour gérer toutes ces informations et simuler des scénarios différents. Les intégrations blockchain sont également importantes pour la sécurisation des transactions, la  traçabilité et la cybersécurité.

Cependant, tout cela ne fonctionne que si la donnée de base est fiable, il est donc important de revenir aux fondamentaux et de s’assurer de la qualité et de la gouvernance des données avant de complexifier les supply chain  avec des  solutions technologiques. La gestion de base des processus est également essentielle pour intégrer tous ces systèmes complexes.

Florian GEFFROY tenant un objet décoratif gorille sur son épaule sur un fond arrondi et vert "transparent".

Florian GEFFROY

Copywritter et Digital Marketer pour DataFret

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