Pour donner suite à notre série d’interviews sur l’automatisation de la comptabilité avec Nga et Carole ou la digitalisation de la Supply Chain avec Michel Philippart,
nous donnons aujourd’hui la parole à Jean-François REY.
Breton d’origine, Jean-François a étudié à SKEMA dans les années 80 et a continué son parcours à Concordia University (université anglophone à Montréal, Canada).
Sa première expérience en supply chain date de 1992. Il a eu l’opportunité de commencer chez Becton Dickinson, à Grenoble au siège européen de cette entreprise américaine du secteur médical, intervenant sur des problématiques de gestion de stock, planification de production et prévisions des ventes.
Parti ensuite au Canada où il est devenu consultant, Jean-François avait pour mission de sélectionner et d’implanter des ERP (Enterprise resource planning: système de gestion de l’ensemble des processus d’une entreprise), APS (Advanced planning system: planification des activités supply chain), TMS (Transport management system: outil de gestion et d’optimisation de la chaîne logistique et du transport) et WMS (Warehouse management system: outil de gestion des activités d’un entrepôt) dans de grandes entreprises (Alcan, Sony, Bombardier, Radio Canada…).
Si nous devions donner 3 critères qui caractérisent Jean-François, ce serait : la supply chain innovante, l’international, et le sport.
Ils ont été mis en commun lorsqu’il est allé travailler 8 ans chez Decathlon en tant que responsable du pilotage des projets supply chain, au début des années 2000, pour ensuite continuer chez le Coq Sportif pendant 2 ans, et Kiabi pendant 9 ans.
Récent PMO (Project management officer) de l’association France Supply Chain, Jean-François a gentiment accepté de nous faire un retour sur ses différentes expériences et de donner son avis sur la digitalisation, la durabilité, les activités et les métiers de la supply chain, ainsi que d’évoquer le futur et les tendances actuelles du secteur.
France Supply Chain est une association à but non-lucratif, comprenant plus de 450 membres : entreprises, chargeurs et transporteurs.
Cette diversité fait notre différence et notre richesse. Là où beaucoup d’autres associations ont uniquement des logisticiens et transporteurs, nous avons aussi beaucoup de chargeurs.
Le but de l’association est de produire du contenu (livres blancs, séminaires, conférences, tables rondes, webinars, etc…) sans avoir de démarches commerciales.
Nous produisons du contenu de valeur, avec nos membres, pour nos membres.
Les grands thèmes de travail de notre association sont tous des thèmes d’actualité, qui concernent toutes les entreprises :
Quelle que soit la période, j’ai toujours eu à m’adapter aux différents événements et d’après mon expérience, je pense qu’il est important de classer ces leviers en plusieurs catégories :
Tous ces éléments sont des moyens pour transformer une supply chain innovante, afin de pouvoir collaborer facilement et efficacement entre interlocuteurs : clients, partenaires, et fournisseurs aux 4 coins de la planète.
“La stratégie ainsi que la culture d’une supply chain innovante, l’organisation, les indicateurs de performance communs, les processus collaboratifs et l’IT sont des moyens pour transformer la collaboration et la communication”
C’est un problème d’offre et demande. La Covid a fortement impacté cet équilibre. Lors d’événements de ce genre, la production est fortement impactée. Le coût du transport augmente car l’offre diminue.
Dans le maritime, le nombre de bateaux a été de plus en plus réduit, faute de produits à transporter. Il y a eu aussi des blocages au niveau des ports, notamment ceux de Chine, qui représentent une très grande partie des flux mondiaux.
Tout était congestionné, il n’y avait plus de bateaux pour charger les conteneurs, même si les usines recommençaient à produire. Tout a été chamboulé.
On a ajouté à cela la crise du gaz en Ukraine, l’augmentation des coûts de l’énergie, la pression pour “verdir” les moyens de transport et les difficultés générales en logistique et en production. Cela coûte généralement beaucoup plus cher qu’auparavant de transporter des marchandises. Les pénuries aussi y contribuent et donc les produits se vendent plus cher. Cela se retrouve même dans l’agriculture et les denrées alimentaires.
Pour conclure, l’augmentation du coût du transport est une tendance générale.
C’est pour limiter ce phénomène d’augmentation générale des coûts que les taux d’intérêt remontent. Les crises ont généré une vague d’inflation, qui ne concerne pas que le transport.
Cela dit, depuis quelques mois et la reprise des flux Asie/Europe, la situation du transport maritime se normalise progressivement et le prix des containers redevient quasi normal.
Avant de parler de réduction des coûts, il faut obligatoirement se mettre à la décarbonisation du transport et de la supply chain en général. Il faut que l’on accepte d’utiliser des énergies plus propres, de faire de l’électrique, de l’hydrogène, du vélique et d’autres formes d’énergie qui peuvent potentiellement coûter plus cher à court terme, mais moins cher sur le long terme. Ces énergies vont faire baisser le niveau de CO2, indispensable à la protection de notre planète. C’est ça l’enjeu principal.
Et ces engagements sont pris par les entreprises. L’objectif n’est pas juste de réduire les coûts, mais d’aller vers une transformation verte de l’entreprise. Le problème à la base c’est que les bassins de production et de consommation sont très éloignés, ce qui oblige à beaucoup transporter, et ce n’est pas toujours très logique. Il faut rapprocher les usines des consommateurs, c’est du bon sens.
Après, nous ne pourrons pas arrêter de travailler avec la Chine du jour au lendemain. C’est compliqué vis-à-vis des accords commerciaux. Mais la tendance de fond, à mon avis, est dans cette direction.
De plus, les taux d’intérêt des banques montent et ces dernières vont avoir tendance à prêter moins facilement. Donc il y aura une forte pression dans les entreprises pour réduire leurs stocks (et donc les délais d’approvisionnement), qu’il faudra financer.
“Le problème des coûts du transport sur l’industrie, c’est qu’on a été amené très loin des bassins de consommation et de production, ce qui oblige à transporter et ce n’est pas toujours logique”
Ce que je disais dans mon article, c’est que depuis que je suis tombé dans la supply chain, j’ai remarqué une dimension IT très forte et les gens ne se rendent pas compte de ça.
Gérer les flux complexes dont on vient de parler nécessite des outils informatiques de plus en plus sophistiqués et puissants. La “Data” est devenue un atout stratégique. C’était vrai il y a trente ans, c’est encore plus vrai aujourd’hui !
Cependant, lors de la prise de décision du choix d’un outil, il faut bien expliquer le sens du changement, à celles et ceux qui vont l’utiliser.
La plupart du temps, lorsque l’on prend une décision et sélectionne un outil, on se demande souvent si on a fait le bon choix. C’est pourquoi, il est plus que nécessaire que les personnes de l’IT adaptent leur discours et s’assurent que les experts aient entièrement assimilé l’utilité et le sens du nouvel outil.
Quand j’étais chef de projet, j’avais parfois l’impression d’être l’intermédiaire entre deux mondes qui ne parlent pas la même langue : les opérationnels, et les informaticiens.
Selon moi, une supply chain innovante est forcément Digitale, Humaine et Green. Elle doit être agile, avec des solutions choisies en fonction de la taille de l’entreprise.
Se passer d’outils informatiques aujourd’hui pour piloter et gérer une supply chain innovante, c’est impossible.
Je ne suis pas convaincu que cette digitalisation soit Green.
Est-ce qu’un outil informatique permet de supprimer des flux physiques, d’utiliser certaines matières, de ne pas recycler certains produits… ? Non ! C’est plus une question de volonté des dirigeants d’une entreprise.
En revanche, un outil ou une solution digitale va faciliter tous les mouvements de transformation. Grâce aux outils digitaux et collaboratifs, nous pouvons être plus rapides, plus efficaces, et générer de la valeur (moins de tâches répétitives et inutiles pour les utilisateurs).
Les outils avec lesquels on travaille actuellement ne sont pas encore ceux de demain, car je pense qu’ils permettront justement de travailler sur la circularité et d’autres thèmes de développement durable.
Pour moi, les outils digitaux peuvent se positionner sur tout ce qui est en train d’arriver comme tendance de fond, notamment sur la partie recyclage, circularité et RSE en général, parce qu’il y a une vraie urgence.
Le bénéfice direct principal est le fait de pouvoir aller plus vite, avec des outils collaboratifs, qui permettent d’échanger très rapidement aux quatre coins de la planète, en partageant instantanément les mêmes données.
Logiquement, cela doit coûter moins cher, parce que ce sont des solutions hébergées. Cependant, les licences sur les droits d’accès peuvent avoir un coût important.
La cybersécurité devient aussi vraiment un enjeu. Qui dit digitalisation, dit données qui sont quelque part !
Indirectement, le principal intérêt que je vois est le fait d’accéder très rapidement à d’autres personnes dans une communauté, c’est puissant.
Il y aura toujours des boîtes avec beaucoup de volumétries, des flux relativement stables, qui ont besoin de solutions performantes, qui sont fiables, qui ne plantent pas et qui voudront aussi avoir les données chez eux, pour des raisons de sécurité.
Donc, je pense que les TMS ne sont pas amenés à disparaître. On aura toujours des fervents partisans de cette solution-là. Et puis il y aura les autres qui seront sur les outils digitaux spécialisés.
Je pense qu’il y aura toujours les deux, pour moi, le bon équilibre, il n’est jamais d’un côté ou de l’autre de la balance. Après, cela peut dépendre de la taille de l’entreprise, de la complexité qu’il y a à gérer de nombreuses activités et flux à l’international, et des fonctionnalités que permettent les outils.
Je pense que le bon système est plutôt un mixte des deux !
Même si je connais d’autres secteurs, dans les vingt dernières années, j’étais dans la grande distribution, qui est un secteur bien particulier. Dans l’industrie, ce n’est pas tout à fait la même chose.
On a besoin de choses très fiables et robustes avec de la gestion de beaucoup de données et d’énormes volumétries car il y a de grosses entreprises avec des multisites un peu partout sur la planète.
Je dirais que dans la distribution, on est beaucoup plus sur des solutions souples qu’on peut implanter étape par étape, test par test, avant d’acheter un système complet.
On a toujours hésité à investir dans de gros systèmes parce que l’on ne voulait pas s’engager sur du long terme.
Bon exemple : Les ERP dans le retail qui sont loin d’être majoritaires. Beaucoup sont des échecs, parce que lorsque l’on installe un système de ce type, il se peut que cela ne soit finalement pas ce que l’on attendait. Même si la donnée est centralisée, tout le reste de l’outil peut être assez contraignant. Manque de souplesse et d’agilité, critère primordial dans le retail car la demande bouge énormément.
Les grosses entreprises où les industriels avec beaucoup d’usines ou d’entrepôts vont avoir tendance à privilégier des solutions stables avec de gros partenaires, qui sont partout sur la planète, des intégrateurs qui sont formés et capables de gérer des multisites.
Pour moi, une solution qui vise un problème de niche me paraît très bien, car en proposant un fonctionnement souple, elle permet un retour sur investissement rapide. D’ailleurs, un des sujets qui concerne le plus les directions supply chain est la résilience.
Quand un gros système tombe en panne ou a un problème, avoir de petites solutions de back up pour toujours continuer l’activité est un vrai atout auquel les entreprises doivent penser.
Florian GEFFROY
Copywritter et Digital Marketer pour DataFret
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