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Michel Phillippart "Transformation Digitale de la Supply Chain"​

Michel PHILLIPART sur un fond en dégradé de bleu

Pour lancer notre série d’interviews, nous posons quelques questions aujourd’hui à Michel Philippart, professeur de Stratégies Supply à l’EDHEC Business School et directeur du MSc Strategy, Organisation Consulting & Digital Transformation. Ses principaux centres d’intérêt sont la gestion des relations avec les fournisseurs au sein de la Supply Chain et les technologies de rupture dans les opérations telles que l’IA, la Blockchain ou l’IoT.

Après une formation d’ingénieur, Mr Philippart a tout d’abord travaillé dans l’aérospatial, pour enchaîner sur un MBA aux États-Unis, puis une période conseil dans la pratique achat, recruté ensuite par PepsiCo, puis McKinsey et GSK.

Comme la transmission du savoir s’inscrit petit à petit comme une priorité pour notre invité, il écrit d’abord un premier livre “les achats collaboratifs – pourquoi et comment collaborer avec vos fournisseurs”, puis en 2016, il valide un doctorat pour être finalement engagé par l’EDHEC.

C’est depuis ses bureaux Lillois qu’il a très gentiment accepté de répondre à nos questions, où nous explorons les sujets liés à la transformation digitale, son impact sur l’organisation des entreprises et les avantages concurrentiels que cela peut créer.

Avec votre parcours, de mémoire, quel a été le plus gros changement que vous avez vécu dans la Supply Chain ?

J’ai vu un certain nombre de changements, le premier c’était le renforcement des pratiques de “compliance”, être sûr que tous les documents soient certifiés, éviter les risques de corruption, etc.


Les plus grands changements que j’ai pu vivre étaient dans les années 2000 et portaient vraiment sur la gestion des données et des systèmes qui y sont rattachés.
En Supply Chain à proprement parler, c’était dans la pharma que le changement a été le plus important. Vu le nombre d’intervenants que l’on avait, le chantier était énorme en protection des données, certification des données, éthique etc.

 

Et puis dans un deuxième temps, c’est un phénomène plus récent, que je vis plutôt en tant que chercheur, plutôt qu’en tant que participant : c’est l’évolution vers plus d’intelligence artificielle et la grosse question : “qu’est-ce qu’on fait avec les humains ?”. Parce qu’on ne peut pas dire simplement “je remplace les humains par des robots” et espérer que ça marche.

Je dois rajouter à tout ça un changement fondamental de culture, c’est le passage de la gestion de la Supply Chain “comptable et purement financière” à son pilotage stratégique, “qu’est-ce qui va me permettre de me différencier de mes concurrents”.

Dessin de 4 personnes autour d'un ordinateur et d'un mégaphone "transparent".

“Qu’est-ce qu’on fait avec les humains ?”

À ce propos, quel type de technologie va engendrer le plus de transformation et d’éléments différenciateurs dans la Supply Chain dans les prochaines années ?

Une techno en soit, ne peut pas être un facteur de différenciation. N’importe qui peut aller voir un des grands acteurs qui auraient inventé le fil à couper le beurre et lui dire “vendez-moi votre solution”.


Compter sur la techno pour faire mieux que ses concurrents, ça peut vous apporter 6 mois d’avantages, mais dans le monde de la Supply Chain, personne ne va devenir le nouveau Google et espérer créer de la différenciation juste en achetant une techno.


C’est la combinaison de l’innovation technologique en elle-même et la manière dont l’ensemble des ressources disponibles pour l’entreprise vont être mobilisé qui va faire que cette techno devienne un vrai avantage concurrentiel.

Est-ce que c’est ce point qui vous a inspiré la notion de “la malédiction des 70%” dans la transformation digitale ?

Oui en partie ! Les entreprises qui se sont mises à croire à la techno un peu comme une baguette magique en disant “je vais mettre telle technologie, ça va bien résoudre mes problèmes” ont investi beaucoup, et au bout du compte, elles n’arrivent pas aux résultats attendus.


Le problème peut venir de la rébellion interne, ou bien de la techno en elle-même qui ne marche pas comme prévu ! Pour arriver à mettre la techno en place, il faut des humains agiles, il faut des humains motivés par ce qu’il va y avoir après et qui ne sont pas en train de défendre ce qu’il y avait avant.

Sur ce point, comment une entreprise peut faire en sorte d’encourager l’adoption ?

Quand le personnel passe beaucoup de temps à aligner des chiffres dans un tableau et autres tâches à faible valeur ajoutée, cela lui laisse peu de temps pour réfléchir à ce qui doit être fait. Le message important c’est que l’automatisation va dégager 80% des tâches récurrentes de son quotidien et cela dégage du temps pour prendre du recul et mettre à profit l’expérience des équipes.


Il reste beaucoup de facteurs trop complexes pour qu’un automate puisse prendre une décision, c’est ce qui demande toute l’attention des entreprises aujourd’hui. On peut ainsi prendre de meilleures décisions, avec beaucoup de profondeur dans l’analyse. Par exemple dans la fonction comptable, l’objectif est d’aider à apprendre au système ce qu’il faut regarder. Les signaux faibles et les points critiques, etc. Une personne qui a 15 ans d’expérience est capable d’identifier les dichotomies du quotidien, alors que les données telles quelles n’en sont pas capables.
Donc les entreprises qui fournissent la techno doivent aussi accompagner la formation et la prise en main des outils, et montrer aux opérateurs que sa valeur est elle beaucoup plus importante en identifiant les difficultés complexes, plutôt qu’en chassant les difficultés dans les cellules d’un tableur.

“Une personne qui a 15 ans d’expérience est capable d’identifier les dichotomies du quotidien, alors que les données telles quelles n’en sont pas capables”

Homme devant un écran qui lit les résultats du dashboard.

Vous parliez du capital immatériel dans le pilotage de transformation numérique, ça rejoint ces points-là ?

Oui, car cette valeur de l’expérience du/de la comptable sur sa capacité à identifier les vraies décisions complexe, elle n’apparaît pas dans un bilan ou dans un document comptable justement.
On a tendance à dire “à l’heure cette personne coûte X”. Mais dans cette heure, le temps passé à regarder des lignes Excel, ce n’est pas la même chose que les moments où il/elle priorise une analyse sur les processus de fonctionnement par exemple.

Un capital c’est une promesse de bénéfice futur, et il est immatériel quand :

1) il n’a pas de valeur résiduelle si cela ne marche pas
2) il est difficile à protéger
3) Il est scalable : l’utiliser plus n’engendre pas de coûts supplémentaires mais génère de nouveaux revenus.
4) il est collaboratif, impliquant les efforts de plusieurs parties prenantes.

Donc dans le savoir-faire des équipes en place, il y a cette partie immatérielle qui est moins bien identifiée. On a tendance à dire “il travaille tant par heure est l’heure vaut tant”.  Mais il existe aussi toute la partie instinct, et cette notion n’est typiquement pas valorisée dans les approches standardisées de la gestion des ressources humaines.

Dans vos expériences, avez-vous réussi à mettre quelque chose en place pour tracer ce phénomène ?

C’est compliqué ! Je travaille sur un projet avec le ministère de l’Économie et des Finances pour essayer de travailler sur la valeur immatérielle des relations fournisseurs.

Et là clairement, on a beaucoup de mal à créer des indicateurs qui seraient les mêmes partout, donc qui seraient SMART et qu’on puisse utiliser.

On avance, mais c’est très difficile et il y a beaucoup d’opinions divergentes sur le sujet ! Et je pense que par principe de toute façon, l’intangible est très difficile à matérialiser. Il faut donc regarder son impact.

Parlant de l’utilisateur final, est-ce que l’aversion au changement peut être un risque pour la démocratisation de l’automatisation des tâches, et comment les entreprises peuvent s’adapter ?

Oui c’est un risque, et il existe de nombreuses études qui montrent qu’en règle générale, les professionnels n’aiment pas changer leur façon de faire. Comment bien s’y prendre ?

En impliquant les personnes du front-line, peut-être pas toute mais au moins un nombre représentatif, dès le début du projet.

Donc l’implication nécessaire des ceux et celles qui vont être impactés, et pas seulement des gens qui vont développer la nouvelle solution. Et surtout, donner confiance aux utilisateurs en leur expliquant que le changement n’est pas contre eux !

Et il peut y avoir en France une certaine aversion au changement technologique où l’on pense peut-être qu’on va se faire “entuber”, et quand on a laissé s’établir cet état d’esprit, c’est un peu tard.

Il faut vraiment que les directions des entreprises donnent plus confiance aux utilisateurs.

Leur dire “on a besoin de toi, donc on va prendre le temps qu’il faut pour te faire expert(e) dans le nouveau système”. Il faut dire aux gens qu’on a besoin d’eux, mais surtout faire suivre cette intention par les actes.

Comment cela peut avoir un impact sur le ROI des initiatives liées à l’innovation ?

Il faut regarder l’impact sur les coûts, bien entendu ce que tout le monde sait faire. Mais la question que l’on ne se pose pas assez est “qu’est-ce que cela permet d’améliorer en matière de qualité, de taux de service ou en matière de rapidité par rapport à mon concurrent”.

En général, cela ne s’affiche pas dans les analyses ROI. Les bases d’environnement concurrentiel et d’environnement de marché ne sont pas assez souvent prises en compte dans les retours d’expérience.

Pourquoi c’est important d’inclure la notion concurrentielle dans une mesure de ROI ?

Cela est surtout le cas pour les entreprises leader, si l’entreprise est un peu en retard, il faut d’abord se mettre en état d’iso concurrence avoir des systèmes aussi bons que les autres.

Si vous travaillez avec BMW ou Apple, ou n’importe quelle entreprise qui est leader dans son domaine, il faut aussi se dire “dans quelle mesure est-ce que cela nous permet de conforter notre leadership ou de le renforcer ?”.

Ou si vous êtes le numéro 2, cela fait plus de sens de se dire “comment cela peut nous aider à avoir un avantage sur quelque chose qui va être critique, et nous permettra de nous différencier par rapport au numéro 1.”.

Florian GEFFROY tenant un objet décoratif gorille sur son épaule sur un fond arrondi et vert "transparent".

Florian GEFFROY

Copywritter et Digital Marketer pour DataFret

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